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Le Temps, 14 septembre 2006

Partis: les chapelles politiques cantonales sont en voie de disparition

Deutsche Version: Allmählicher Abschied vom Kantönligeist

Sous l'effet de la montée en puissance de l'UDC, le système de partis s'est fortement nationalisé au cours des quinze dernières années. Parmi les grands partis, seul le PDC peine à s'imposer en dehors de ses bastions traditionnels.

Keywords: Swiss cantonal parties; party nationalisation; Swiss People's party; electoral system; cleavages.

Pascal Sciarini et Daniel Bochsler, respectivement professeur et directeur du Département de science politique, et assistant de recherche au Département de science politique, Université de Genève


Infographique...

L'origine cantonale d'un président de parti en dit parfois long sur le profil du parti. Ainsi, ce n'est pas un hasard si le PDC a récemment élu à sa tête un président valaisan, Christophe Darbellay: le Valais est le dernier canton dans lequel le PDC dispose d'une majorité absolue. De même, les six autres membres de la présidence du PDC proviennent tous d'un de ses fiefs historiques. Ces cantons, catholiques et ruraux, sont très importants pour le PDC, car ce sont eux qui lui fournissent l'essentiel de ses mandats. Dans les cantons urbains et religieusement mixtes, le PDC ne décolle pas: il n'est pas - ou à peine - représenté dans les cantons de Neuchâtel et de Berne et ne dépasse pas la barre des 5% dans les cantons de Bâle-Ville, Zurich ou Vaud.

Bien que disposant actuellement de la plus forte députation au Conseil des Etats, le PDC reste un parti essentiellement régional. C'est ce que montre, de manière synthétique, notre indice de nationalisation des partis (voir graphique et encadré ci-contre). Cet indice mesure le degré d'homogénéité de la force électorale d'un parti, d'un canton à l'autre. Des quatre partis gouvernementaux, le PDC est - de loin - le plus faiblement nationalisé.

Pendant longtemps, ce faible degré de nationalisation n'était pas propre au PDC, mais caractérisait l'ensemble du système de partis: si le PDC était confiné aux cantons catholiques, l'UDC était avant tout un parti alémanique, protestant et agraire; à plus forte raison, cet ancrage local valait - et vaut encore dans certains cas - pour les petits partis comme le Parti libéral, les Verts, l'Alliance des Indépendants, les partis d'extrême gauche ou le Parti évangélique et populaire. Comme le montre le graphique, le degré de nationalisation du système de partis dépassait à peine les 60% jusqu'au début des années 1990, soit un niveau exceptionnellement bas en comparaison internationale. Seuls le PRD et le PS couvraient l'ensemble du territoire suisse de manière relativement homogène et affichaient de ce fait un degré de nationalisation de près de 80%.

Cette fragmentation territoriale porte évidemment la marque du fédéralisme: les partis ont existé au niveau cantonal avant de se fédérer au niveau national et cette construction du bas vers le haut a laissé une grande autonomie aux partis cantonaux. Ceci, conjugué à une forte décentralisation des compétences et à l'héritage historique spécifique à chaque canton, a contribué à maintenir une variété extrême dans la configuration des partis cantonaux. Pour le dire rapidement: il y avait alors autant de système de partis que de cantons. Au point que certains politologues n'hésitaient pas à affirmer que les élections nationales n'existaient pas en Suisse, mais étaient en réalité constituées d'une collection d'élections cantonales parallèles et simultanées.

Les choses ont bien changé au cours des quinze dernières années. Le degré de nationalisation a pris l'ascenseur en 1995, puis à nouveau en 1999, et encore en 2003, où il a atteint le taux record de 74%. Aujourd'hui, on peut enfin dire que la Suisse possède un système de partis véritablement national: trois des quatre partis gouvernementaux ont un solide ancrage dans tous les cantons, ou presque, et la cinquième force politique du pays, les Verts, a également acquis un profil national. Reste qu'un facteur explique presque à lui seul la forte augmentation du degré de nationalisation du système de partis: la formidable montée en puissance de l'UDC ou, plus précisément, ses victoires électorales successives aux quatre coins de la Suisse.

En 1995, dans la foulée de la votation fédérale sur l'Espace économique européen de 1992 qui avait porté Christoph Blocher et les siens sur le devant de la scène, l'UDC a initié sa série victorieuse dans les cantons alémaniques non catholiques. En parallèle, elle a planté ses premières banderilles dans les cantons alémaniques catholiques (Lucerne, Zoug, Saint-Gall, Soleure, Schwyz), où elle a obtenu jusqu'à 15% des suffrages.

En 1999, après une campagne électorale fortement marquée par le débat sur la politique d'asile, l'UDC a poursuivi sa progression en Suisse alémanique (30% des suffrages), dans les cantons non catholiques (où elle a notamment récupéré les voix des petits partis d'extrême droite) comme dans les cantons catholiques (l'UDC a même détrôné le PDC dans les cantons de Saint-Gall et Schwyz).

En 2003, l'UDC a fait une percée spectaculaire en Suisse romande, en s'implantant dans trois nouveaux cantons (Genève, Neuchâtel et Valais) et en progressant sensiblement dans les cantons de Vaud et Fribourg. La boucle était bouclée, l'UDC était devenue un vrai parti national et pouvait légitimement revendiquer un deuxième siège au Conseil fédéral.

Si l'on comparait l'évolution du degré de nationalisation de l'UDC à l'évolution de sa force électorale, on constaterait que les deux courbes suivent une trajectoire parfaitement parallèle. Signe de l'importance, dans l'ascension de l'UDC, des gains massifs réalisés dans les cantons où elle était auparavant faible ou inexistante.

Plus fondamentalement, le recul du PDC dans les cantons catholiques et la forte progression de l'UDC dans ces mêmes cantons confirment que le clivage religieux, central durant les premières décennies de la Suisse moderne, a perdu une grande partie de sa signification. Dans l'intervalle, les questions relatives à l'ouverture internationale et européenne, et à la politique d'asile et d'immigration, sont devenues décisives. Or, ces questions - auxquelles l'UDC doit une bonne partie de son succès - sont à l'origine de conflits qui ne se superposent plus aux frontières cantonales, mais qui les traversent. Ceci, conjugué à d'autres facteurs comme la médiatisation accrue de la politique au niveau national, renforce le processus de nationalisation du système de partis.

Ainsi, il y a de bonnes raisons de penser que la bataille électorale de 2007 sera encore plus nationale que celle de 2003. Toutefois, un système de partis parfaitement national n'est guère imaginable en Suisse: le système en vigueur pour l'élection du Conseil national - sans parler de celui qui prévaut pour le Conseil des Etats - contribue à maintenir une certaine dose de cantonalisme dans les élections fédérales. Pourquoi? Parce que les sièges au Conseil national ne sont pas distribués selon le score électoral réalisé par les partis au niveau national, mais dans chacune des circonscriptions électorales, c'est-à-dire des cantons.

Or, le nombre de sièges au Conseil national varie de un à trente-quatre, selon la taille des cantons. Dans les grands cantons, qui envoient plus d'une dizaine de représentants à Berne, même les petits partis ont une chance de se faire élire. Dans les petits cantons, en revanche, le nombre réduit de sièges à disposition dissuade les petits partis de se porter candidat et/ou dissuade les électeurs de voter pour eux.

Au final, les fortes variations dans la taille des circonscriptions électorales qui caractérisent la Suisse - encore une conséquence du fédéralisme - constituent un obstacle majeur au développement d'un système de partis homogène et cohérent sur l'ensemble du territoire national.

 

update 23/09/06